Silence radio et chape de plomb. Exercice périlleux que de tenter de radiographier les us et habitus des membres de la Brigade Loire – ces supporters ultras mettant le feu, au sens propre comme au figuré, à coups de fumigènes au sein de la Beaujoire -, une semaine après qu’un supporter de 31 ans, membre de la « BL » comme l’appellent les initiés, a trouvé la mort à deux pas du stade, poignardé à deux reprises.
Le drame est effroyable. Ce qui l’est aussi, c’est qu’il est advenu au terme d’une folle scène de violence. Avant les coups de couteau fatals, une horde de supporters – une centaine au bas mot selon les images provenant de différentes caméras – a brutalement fondu sur un convoi de VTC transportant des supporters niçois, jetant des projectiles sur les voitures ou les cognant à coups de poing ou de pied. Certains des assaillants, visage dissimulé et tout de noir vêtus, ont frappé des Niçois dès lors que les portes des véhicules ont été ouvertes.
Une enquête pour « violences aggravées » vise les supporters nantais
L’auteur-présumé des coups de couteau, un chauffeur de VTC de 35 ans, a été placé en détention après avoir été mis en examen pour “meurtre”.
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Le procureur de la République de Nantes, Renaud Gaudeul, a également ouvert une enquête du chef de « violences aggravées » visant à identifier les supporters nantais qui ont violemment pris à partie leurs homologues niçois : plusieurs d’entre eux ont fait un court passage au CHU après avoir essuyé ces coups.
Impossible en l’état des investigations de savoir si la victime, qui ne portait aucune cagoule ou effet masquant son visage, était un « simple » observateur, se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment. A ce stade de l’enquête, la présence de l’intéressé autour du convoi de VTC est établie mais rien n’indique que ce membre de la « BL » ait joué un rôle moteur au cours des terribles événements.
« Actuellement en deuil, nous ne sommes pas en mesure de répondre… »
Reste cette interrogation lancinante : comment expliquer la survenue d’un tel cauchemar ? A l’énoncé de la question, les habitués de la Beaujoire – qu’ils soient présents dans les tribunes pour encourager leur équipe fétiche ou qu’ils y travaillent – se ferment ou les téléphones se coupent. Comme un seul homme, et comme obéissant à une injonction militaire, les membres de la Brigade Loire répondent aux abonnés absents, se retranchant derrière le choc de l’événement : Actuellement en deuil, j’espère que vous comprendrez que nous ne sommes pas en mesure de répondre favorablement à votre demande .
Même les représentants des autres associations de supporters, à l’ambiance davantage familiale, éludent pour l’heure le sujet, la seule, ayant répondu à nos sollicitations, se bornant poliment à renvoyer le message suivant : Le temps est pour nous au recueillement et nous préférons laisser les réactions à la Brigade Loire si elle le souhaite .
« C’est la peur et l’omerta… », attaque un connaisseur du FC Nantes
C’est la peur et l’omerta , attaque un grand connaisseur du stade et des arcanes du FC Nantes, qui pointe la dérive d’une frange conséquente de la Brigade Loire », coupable à ses yeux de verser dans un hooliganisme assumé en interne même si jamais revendiqué.
Ce qui est certain, c’est que les Niçois n’avaient pas à passer par là le soir du match , assène sèchement une supportrice de la tribune Loire, faisant référence à l’arrêté préfectoral édicté pour assurer la sécurité du déplacement des Niçois. Une illustration du déni de la violence initiale, qui n’a pas encore reçu de condamnation claire de la « BL ». On est une famille , défend la supportrice rencontrée tandis qu’elle se recueillait avec son compagnon, lui-même membre de la BL, et leur fils sur les lieux du drame.
Y a-t-il un problème avec la Brigade Loire ? La ville est muette sur le sujet et renvoie à un communiqué déplorant sa grande émotion face à l’horreur du drame et réclamant de faire toute la lumière sur les circonstances de cette mort.
« Il faut ouvrir les yeux, ce n’est pas la première fois qu’il y a des scènes de violences »
Il faut ouvrir les yeux, ce n’est quand même pas la première fois qu’il y a des scènes de violence, y compris dans l’espace public , décoche cet ancien fidèle de la tribune Loire. Le dimanche 13 août, des Nantais ont ainsi fait le coup de poing avec des Toulousains, lors d’une confrontation organisée au nord de Nantes. Un fight à mains nues qui a mobilisé plus d’une centaine de belligérants, affiché avec fierté sur les réseaux sociaux, via ce post : Notre Brigade Loire avec les vêtements des Toulousains. Lors d’un 60 vs 60, la BL s’est largement imposée. Certains Toulousains sont passés par la case CHU .
En février dernier, des affrontements ont éclaté en marge d’un déplacement à Ajaccio. Personne n’a oublié non plus l’intrusion de supporters au sein de la tribune présidentielle lors du match Nantes-Toulouse en novembre 2016, et les insultes et menaces qui ont ciblé le président des Canaris, Waldemar Kita. Je pense qu’on va arriver à un accident grave, avait alors réagi ce dernier, pointant le silence des autorités. S’il y a un grand blessé ou peut-être un mort, peut-être bougera-t-on mais ce n’est pas sûr. On sait qui c’est. Au PC sécurité, ils ont les photos et les identités des fauteurs de troubles .
L’image des « rois du cool » qui mettent une super ambiance et réalisent des tifos extraordinaires
Il y a le vernis de la BL, avec cette image de “rois du cool” qui mettent une super ambiance dans le stade et réalisent des tifos extraordinaires, reprend cet ancien fidèle de la Beaujoire. C’est une réalité du stade, que chacun admire car ces supporters-là se dépensent sans compter. Mais il y a aussi une face sombre qui est la violence, devenue une composante du mouvement ultra .
Preuve de ce glissement inquiétant, rappelle cette même voix : un autocollant de la BL, qui a longtemps tapissé le mobilier urbain, proclame que le groupe joue les fauteurs de troubles depuis 1999 , et montre deux silhouettes masculines, l’une d’elles, cagoule sur la tête, ayant une matraque en main. C’est quand même étonnant comme tenue de supporter sympa, non ? soupire cet ancien habitué de la tribune Loire. Il y a un sentiment d’impunité dans les travées, ils se sentent intouchables .
« Tout est super bien organisé, ils gèrent hyper bien »
Un aficionado comptant quinze ans de tribune Loire nuance le tableau, et peste : Il faut arrêter avec la mythologie. À entendre certains, la « BL » relève du coupe-gorge ou de l’enfer. Moi, je ne suis pas loin d’eux à chaque match avec mon gamin de 11 ans, et je peux vous dire qu’on n’y risque rien. Au contraire, tout est super bien organisé, ils gèrent hyper bien, s’investissent comme des oufs, immense respect à eux .
Vrai que la « BL » assure le spectacle et n’est pas pour rien dans les très bons chiffres de fréquentation du stade, même lorsque les joueurs sont à la peine sur le terrain. Cette année, la tribune Loire a d’emblée affiché complet avec 6 500 abonnés. Parmi eux, ceux qui veulent adhérer à la Brigade Loire s’acquittent d’une cotisation de 15 €. Ça contribue à payer une partie du matos pour les tifos , énonce une voix.
Un groupe très fermé et très hiérarchisé
On entre par cooptation dans le groupe très fermé et très hiérarchisé de la « BL », qui compte près de 200 membres actifs selon une source policière, et pas mal de sympathisants. La nébuleuse – selon le mot d’un représentant des autorités – se veut apolitique, et agrège toutes les catégories sociales, y compris des chefs d’entreprise ou des artisans mettant volontiers à disposition une partie du matériel nécessaire aux tifos. Avant toute chose, il faut s’engager de façon monumentale, ramasser le matériel, nettoyer la tribune, être disponible, et être de nombreux déplacements à l’extérieur, déroule un connaisseur. Faire corps dès que la situation l’exige, si un membre se fait choper par la police avec un fumigène ou pire… Soyons clair : il y en a beaucoup qui sont là uniquement pour l’ambiance exceptionnelle. Mais faire le coup de poing à l’occasion peut rapporter des points supplémentaires…
« Profils variés et intentions complètement différentes »
A priori, le collectif n’est pas considéré comme une association déclarée, relève-t-on du côté des autorités, ce qui renforce son caractère nébuleux . Avant la naissance de la « BL », la tribune Loire regroupait les Young boys, plutôt axés sur le délire des chants et des tifos selon un familier du stade, au centre de la tribune tandis qu’en marge, évoluaient les ultras Urban service, proches de la mouvance hooligan . Aujourd’hui, c’est plus compliqué de s’y retrouver, reprend ce familier. Sous l’appellation « tribune Loire » ou « Brigade Loire », on trouve des gens aux profils variés et intentions complètement différentes. Il y a des gens qui ne sont pas du tout adeptes du coup de poing, qui viennent vraiment pour l’ambiance. Mais il y a aussi parmi ce nombre une frange hooligan, qui n’est plus aussi confidentielle en termes de nombre. La violence s’est banalisée, comme si ça faisait partie du folklore du foot.
Une « porosité entre les ultras et le hooliganisme »
Ces supporters ne peuvent plus se cacher en invoquant le fait que les actes de violences sont extérieurs, assène un autre spécialiste de la Beaujoire. On dit qu’il ne faut pas mélanger les ultras et le hooliganisme mais il faut ouvrir les yeux : il y a une porosité entre les deux .
Ça s’était plutôt calmé depuis le début de la saison, même s’il y a eu le fight avec Toulouse, tempère un policier nantais. Globalement, la « BL » se comportait plutôt bien. Mais si on laisse à certains membres l’opportunité d’aller à la castagne, ils y vont…
Une autre voix qui suit de près le mouvement indique que les membres de la « BL » ayant eu maille à partir avec la justice n’avaient pas le profil de durs à cuire ou de militants d’extrême droite . Et note : Ils peuvent être dans la prise de risques pénaux, mais ça reste cantonné à des dégradations ou à des injures . Un temps, et la même voix reprend : Je n’ai pas le sentiment que le cœur de la BL soit obsédé par l’envie de taper du supporter adverse. Mais je n’exclus pas que le mouvement soit un peu noyauté par d’autres mouvances…
« Le goût du pouvoir et le désir de contrôler le club »
Certitude : le côté underground et alternatif de la « BL » la rend attractive . Sans compter le désamour pour Kita. C’est le tour de force de la « BL » que de se poser comme une formation garante des valeurs du FC Nantes et du jeu à la nantaise, embraye un initié, qui note au passage que la « BL » a le goût du pouvoir et le désir de contrôler le club . Le projet de rachat du FC Nantes porté par le Collectif nantais, chapeauté par Mickaël Landreau – ex-gardien de but et figure de l’histoire du FC Nantes – a ainsi d’emblée cherché l’appui de ces supporters populaires, fait valoir la même voix.
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C’est quand même délirant de se dire qu’à Nantes, aujourd’hui, il y a des types qui attaquent des bagnoles sous prétexte qu’elles transportent des mecs qui ne supportent pas la même équipe de foot , ressasse un passionné, avant de réclamer l’anonymat : La « BL » suscite l’admiration et la peur. Le fait que je vous parle en vous demandant de n’apparaître sous aucun prétexte est la preuve de cet état de fait. Si je parlais avec mon nom, je serais aussitôt menacé, je me ferais péter la gueule dans les jours qui suivent.