Djidji l'AmorosoOn ne va pas se mentir, je l'aime bien ce mercato.
Ouais.
Et si on en était à se mentir après tout ce qu'il y a eu entre nous, ce serait bien dommage car vous aussi, je vous aime bien. Après, loin de moi l'idée de chercher la bagarre avec qui que ce soit, c'est pas trop mon genre. Je suis un gars plutôt facile, je cède ma place dans le bus aux vieilles dames, je rebouche toujours le dentifrice et hier, j'ai repris deux fois du gratin de chou fleur, ce qui n'a rien à voir mais ma femme était contente et comme je suis pour la paix des ménages... Alors on ne va pas se mettre sur la courge pour si peu, je ferai comme s'il ne s'était rien passé. On oublie tout. Et on repart de zéro.
Alors autant se le dire franchement, mais vous et moi, on en a vécu un paquet des mercato en bois, des mercato à deux balles, des mercato à que dalle. Des mercato où rien n'allait dans notre sens, où la tartine tombait mollement côté beurre, où l'orteil se cognait contre la porte, où le pigeon vous chiait sur l'épaule. On en a vu arriver des joueurs moisis, des Makukula, des Viveros, des Mazzoni.
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Donc, vendredi dernier, alors que se traitait d'improbables derniers transferts, que Lucas Lima faisait le tour des duty-free shop, qu'Emiliano se voyait partir fort comme un turc et que les fils d'info s'encombraient d'arrivées et de départs, moi: je serrais les fesses que j'ai d'habitude bien roses et fermes, puisque vous voulez tout savoir.
Parce que je dois bien le reconnaitre, j'ai le mercato délicat. L'été du foot me fout des plaques. Et ça, ce n'est pas cool car en général, j'ai l'urticaire purulent et le bouton grossier. Que voulez vous, j'ai horreur des départs. Ça me déprime, me rend malade. J'en fais des cauchemars. La simple vue d'une valise peut me faire tourner de l'oeil. Oui, je sais, je suis d'une nature fragile.
Alors vous me direz peut être que je ne suis pas le seul dans ce cas là, que pour Lucas Lima c'est pire. Que lui, il a rêvé du Transsibérien mais qu'à la fin, il n'a pas dépassé Notre Dame des Landes. Mais ne nous échauffons pas. Mettons du Ben Arfa dans notre tisane et soyons zen. Après tout si on part, c'est un peu parce que l'on pense avoir fait le tour de la question. On croit avoir tout vécu, on ne progresse plus, on se sent stagner. Viens donc le moment de partir. Et puis, on veux croire en un ailleurs meilleur. L'herbe y est toujours plus verte parait il...
HAHA! Méprenez vous. Avec le champignon qui a pourri notre belle pelouse de la Beaujoire contre Monaco, on voit bien que les pelouses les plus vertes sont ailleurs alors ne m'emmerdez pas parce que là je suis à vif, chaud comme la braise, j'ai le Waldemar dans la maison du Sagittaire. On ne part pas et puis c'est tout!
Enfin... on peut s'arranger.
Donc, j'en étais à serrer les miches pour que tout reste en état. L'effectif est plein de joueurs, le loft plein de lofteurs et le compte à rebours est lancé. Jusqu'au bout de la nuit, le danger est là. Il peut venir de partout. Les clubs espagnols: attirants. Les clubs émiratis: riches. Les clubs chinois: sans scrupule. Les clubs russes: dangereux! J'angoisse. La soirée avance, le stress se fait plus fort. Bientôt sonnera le gong de fin du mercato. Il est tard et je lutte contre le sommeil. Mes doigts se font moins précis sur le clavier, mes paupières sont lourdes. Tenir, il faut tenir. Tenir à nos joueurs et ne pas en perdre. Pas si près du but. Je sens monter en moi une insidieuse envie de dormir, de me décrocher du fil des Merceron et autres Phelippeau. Minuit, c'est fini. On en reste là. L'équipe ne bouge plus.
Qu'est ce que je voulais que je vous dise? On s'en sort pas mal. D'accord, y'en a qui se sont quand même fait la malle, qui attendent la fin de leur contrat pour aller voir ailleurs gratuitement. Les ingrats. Il y a ceux dont on attendait beaucoup et qui ne reste pas longtemps. Qui partent pour de l'argent, pour eux ou pour nous. Et puis, il y a ceux qui partent pour services rendus à la cause ou dont on estime qu'ils ne sont plus au standard de notre club. Ces gars là partent à Caen ou mieux encore, en prêt au Torino, en Italie!
Aaaah l'Italie! Sa Dolce Vita, ses gondoles, son chianti et son football à rayures.
Aaaah le Calcio! Son champion hégémonique, son multi-ballon d'or et ses chants racistes.
Voilà qui fait rêver. C'est le chant des sirènes, l'appel irrésistible du catenaccio. Il y a un éléphant à Nantes, nous vous envoyons notre Hannibal. Voilà que notre Djidji à nous passe les Alpes. D'un coup, en un été, la Série A perd un Gigi pour en récupérer un autre. Le Notre. Et le notre, c'est pas du luxe. Mais que voulez vous, après une saison de Ranieri, il devait être prêt. Sûrement que de voir arriver un entraineur qui prône la possession de balle et le jeu offensif, cela lui a fait un peu peur. Ça cogite dur dans la tête: il ne faudrait pas que je me retrouve trop avec le ballon dans les pieds. Non mais sans blague! Je suis footballeur moi.
Donc voilà,
Djidji est parti. C'est le Koffi break. Un espresso, what else?
Moi je l'aimais bien Koffi. En défense, je l'aimais bien serré. Il a été remplacé par un américain, un pas trop fort et qui ne va pas nous empêcher de dormir. Ensuite, on a pris un grand noir bien costaud importé de Belgique, un peu moulu du genou et dont on espère qu'il ne nous causera pas d'insomnie. Des insomnies, celui qui risque d'en avoir c'est Koffi. En étudiant l'effectif du Torino, j'ai compté 7 défenseurs centraux! Lui qui avait ouvert un salon de coiffure à Nantes, pourrait jouer les coiffeurs dans un effectif plétorique. Quelle ironie!
Tout ça pour un départ...
Mais partir pour quoi? Pour quel gain? Pour quel ailleurs?
L'Amour du club, du maillot, des couleurs se perdent. Même les anciens, les fidèles ne restent plus. C'est un pilier du club, pas le plus solide mais un des plus symboliques, qui se dérobe. Djidji part sur un dernier message, comme Bammou l'avait fait. Un message touchant, que je veux croire sincère: il aime la ville, il aime le club. Tout ça me fatigue...
Oui, je fatigue. Il est tard, très tard. Mon esprit se brouille, je divague. J'entends au loin le son de la mandoline, la voix de Dalida... Elle chante
Djidji l'amoroso!
https://www.youtube.com/watch?v=DRPJ0zfTwf4A quoi ça tient. Nous l'avions sous la main. Un gars du coin.
Portez vous bien...