Quatre joueurs, huit titres.
Budzynski, Bertrand-Demanes, Ouédec et Savinaud nous racontent leur club.
En trois tomes dans notre édition papier, avec cette prolongation sur internet.
À l’occasion des 70 ans du FC Nantes, ce dimanche 21 avril, Ouest-France a souhaité rassembler un aréopage d’anciens joueurs, de générations différentes. À quatre, Robert Budzynski, Jean-Paul-Bertrand-Demanes, Nicolas Ouédec et Nicolas Savinaud couvrent les huit titres de champion de France. Ils ont eu, et ont toujours, d’une certaine manière, ce club dans la peau. Ils nous le racontent, à leur façon.
Le bon fonctionnement du club s’est-il arrêté lorsque les présidents ont voulu penser qu’ils pouvaient maîtriser le football ?
Jean-Paul Bertrand-Demanes :
Moi, quand j’ai vu des présidents qui ont commencé à dire attendez, le football, ça va commencer à exister maintenant, ce que vous avez fait avant c’est zéro, je me suis dit : toi mon pote, tu vas voir, il va t’arriver un truc.
Robert Budzynski :
Même financièrement parlant. On a réussi à démonter, pas le sabordage, appelons ça comme on veut, de 95-96 quand on est champion et qu’on laisse partir nos meilleurs joueurs, mais l’erreur historique (NDLR : le remboursement anticipé de la dette). On a appris ça après, nous. Mais quand on l’a appris, on avait envie de fracasser des têtes. On s’était engueulé avec Coco. Je lui avais dit, t’inquiète pas, les meilleurs ne partiront pas. On trouve une solution financière avec la banque qui nous permet de rembourser jusqu’en 2004. Donc on n’a aucun problème financier à l’issue de cette saison. C’était bien. Et on lâche sur Christian (Karembeu) et sur Pat (Loko). Invraisemblable. Sabotage !
Nicolas Ouédec :
On aurait gagné la Ligue des champions ?
R. B.
Mais attends, quelque part, tu te dis, je vais y arriver.
N. O. :
c’est l’histoire qui se répète à chaque fois.
Nicolas Savinaud :
on l’a vécu aussi lorsqu’Eric (Carrière), meilleur joueur du championnat, est parti après le titre.
Nicolas (Savinaud), vous êtes le seul à avoir vécu la relégation avec le FC Nantes…
N. S. :
Oui, elle nous est passée juste au-dessus une première fois en 2000. Cette année, c’était particulier, plus lié à un concours de circonstances.
Les années d’après, quand ça s’est répété, c’était aussi un problème de niveau. L’équipe était de moins en moins bonne. Ce n’était plus le même club non plus.
Quand Gripond est arrivé en tant que président, ça a été compliqué. On en a reparlé après avec le coach Denoueix. À partir du moment où dans les premiers entretiens, la première chose qu’il lui a dite, c’est : le jeu c’est du pipeau, le coach Denoueix s’est dit, un jour, je me ferai virer. Il ne s’est même pas battu à essayer d’expliquer. À partir du moment où un président dit ça, c’est fini.
N. O. :
c’est là où Scherrer était intelligent.
N. S. :
les présidents précédant ont vraiment laissé le pouvoir aux techniciens.
R. B. :
vous connaissez l’histoire du tournevis ? Non ? Je vous la raconte.
Chez Prost Grand-Prix, il arrive un jour et il s’adresse à un ingénieur suédois, le mieux payé de l’écurie qui en compte dix-huit tous plus forts les uns que les autres. Il avise ce qu’il est en train de faire avec un mécanicien, et il dit : le coup de tournevis, c’est pas à droite, c’est à gauche qu’il faut le donner. Le type dit : pardon, mais qui êtes-vous monsieur ? Réponse : je viens d’être nommé directeur, je sais.
A contrario, je me souviens d’être allé avec Coco, l’une des rares fois où il est venu, superviser à Londres. On rentre dans le bar présidentiel, on nous dit qu’il faut une cravate. On va nous en chercher une. Maintenant, vous pouvez entrer. Coco me dit : c’est n’importe quoi. Je lui dis : mets ta cravate. On boit un coup, le président arrive et on commence à discuter. C’est lui, cinq minutes avant le début du match, qui nous demande la composition de l’équipe. Son équipe. Il ne s’en préoccupait pas. Son truc c’était : je mène, je gère le club. Nous, le président actuel…
Vous voulez dire que c’est son entraîneur qui lui demande la composition de l’équipe 5 minutes avant ?
R. B. :
c’est pas loin. Mais il faut lui reconnaître le mérite indiscutable de payer. Et c’est énorme aujourd’hui. Parce que s’il se barre, comment on fait ?
J-P. B.D :
je crois qu’il n’y a pas dans la région, une entreprise stable qui pourrait reprendre le club. Mais il en faudrait une, un leader qui, avec un pool d’une vingtaine d’investisseurs.
R. B. :
ça a toujours été difficile.
J-P. B.D :
oui, mais il faut que ce club retrouve une aura, et tout le monde en profitera. Mais ce pool et ce leader, doivent choisir les hommes de terrain. Que ce soit un manager général, un entraîneur. Et, une fois choisis, qu’ils les laissent travailler. Mais tu les choisis pour revenir aux fondamentaux. Tu fais un projet sur 5, 6, 7, 10 ans pour recommencer depuis le centre de formation. Autrement, ça va toujours être le chien qui se mord la queue.
N. O. :
c’est dommage quand même car en 2004, le socle était là. Il y avait 40 ans de travail derrière. Mais je comprends un peu mieux maintenant en écoutant Robert.
R. B. :
maintenant, ça va être dur quand même.
Vous avez le sentiment qu’on a un peu dilapidé votre héritage ?
J-P. B.D :
ah, depuis quelques années, oui !
N. O. :
dans la mentalité surtout. Quand j’étais jeune, avec mes copains, Ziani, Pedros tout ça, on s’appuyait sur ce qui avait été fait avant. J’ai ciré les chaussures de Vahid, lavé les douches… Ça faisait partie du travail quotidien des jeunes. Je ne sais pas si ça se passe comme ça maintenant. Mais la filiation était bien ancrée.
Le vestiaire des pros, quand on y allait, on prenait presque des photos. Alors, oui, pour moi, c’est un gâchis énorme. Je suis malheureux pour le club. Mais je suis heureux de ne pas y évoluer à l’heure actuelle.
Quand vous croisez des gens dans la rue, de quoi vous parlent-ils lorsqu’ils évoquent le FC Nantes ? Du passé glorieux ? Ou du présent sur lequel ils sollicitent votre analyse ?
N. S :
Je les trouve nostalgiques. J’appartiens en plus à la dernière génération à avoir gagné des titres avec le FC Nantes.
J-P. B.D :
moi, quand on me reconnaît, on me dit : ah ben le FC Nantes, c’est plus ce que c’était.
N. S :
ou, c’était la belle époque.
J-P. B.D :
Dans l’inconscient nantais aujourd’hui, le FC Nantes, ce n’est plus rien. On n’en parle même plus. À part les mecs vraiment accrocs et qui essaient de rentrer.
N. S. :
mais on sent quand même une envie. Ils n’attendent que ça.
J-P. B.D :
C’est vrai, on a vu contre Monaco avec un stade plein.
Attendent-ils aussi et peut-être même surtout un club auquel ils puissent s’identifier ?
N. S. :
Sans doute. Mais je ne sais pas s’ils seraient prêts à redescendre encore plus bas. Qu’il y ait de gros soucis peut-être, mais que ça reparte de plus loin mais sur des bases saines.
Sans jouer les vieux cons car ce ne sera plus jamais comme avant, mais repartir sur des bases saines, en faisant de la formation, en faisant jouer les jeunes, en étant différent.
Recueilli par Loïc FOLLIOTet Pierre-Yves ANSQUER.