70 ans du FC Nantes « Barcelone, ils ont tout copié sur nous ! »
70 ans du FC Nantes. Quatre joueurs, huit titres. Budzynski, Bertrand-Demanes, Ouédec et Savinaud nous racontent leur club. Une série à suivreOn a parlé du jeu à la Nantaise, n’était-ce pas avant tout des entraînements à la nantaise ?Jean-Paul Bertrand-Demanes :
C’était surtout un état d’esprit aux entraînements. L’un des leitmotivs, c’était : donner des solutions aux partenaires, se mettre à leur service.
Ce sont les premiers mots que j’ai entendus avec José Arribas quand je suis arrivé au club en 1969-70, les mêmes ensuite employés par Suaudeau. Ça se matérialisait par des jeux tout simples.
Arribas, en bas du parc de Procé sur les terrains de hand, nous faisait jouer à une sorte de passe à dix, à la main, avec interdiction de faire passer le ballon par-dessus un partenaire. Il fallait donc se démarquer pour passer le ballon.
« Est-ce que tu aimes courir ? »Nicolas Savinaud :
Coco a repris le même genre d’exercice, comme le coach Denoueix ensuite. C’est sûr que quand tu arrives à 15 ans, les exercices sont différents de ceux que tu avais l’habitude de pratiquer ailleurs.
J’ai eu la chance d’avoir le coach Suaudeau pendant 6 mois. En fait, j’ai réappris le football à 15 ans.
La première chose qu’il te demande, c’est : « Est-ce que tu aimes courir ? ». Là, tu dis : « Oui, j’aime courir ». Mais lui pense : « Tu aimes courir comment, quelles courses, ça ne te dérange pas de courir sans recevoir le ballon ? »
Tu apprends ça pendant six mois et tu essaies surtout de le mettre en pratique.
Ensuite, ce qui surprenait ceux qui signaient au club, c’était la préparation physique. Ils n’avaient jamais autant travaillé.
Notre jeu demandait d’être performant physiquement. Parfois, on bossait sans toucher un ballon, on ne faisait que des courses. Ensuite, on travaillait les complicités.
R. B. :
Ce qui m’a le plus marqué ne correspond pas à ma période joueur, c’est ce que j’entendais après auprès des techniciens quand il fallait rectifier quelque chose suite à une défaite.
C’était extraordinaire. On se réunissait avec les entraîneurs dans le Magic bureau, c’est la dénomination du bureau de « Coco » selon Vahid Halilodzic. On essayait de faire perdurer dans le club les bases qui viennent d’être évoquées.
Là-dessus, ça mordait. Mais ce qu’il fallait trouver, c’était les correctifs par rapport au match précédent. En présence de tous les entraîneurs, chacun cherchait à rectifier ce qu’il avait vu. C’était l’une des plus grandes forces du FC Nantes.
Y avait-il beaucoup de renouvellement dans les exercices ? Les entraîneurs cherchaient-ils à lutter contre la répétition, la routine ?N. S. :
Tu ne peux pas lutter contre la répétition mais contre la routine, oui. J’ai connu des entraîneurs ensuite qui reproduisaient les mêmes séances chaque lundi, chaque mardi etc.
À Nantes, ça n’arrivait jamais. On reprenait parfois les mêmes thématiques les veilles de match mais on évitait de faire tout le temps le même jeu. Il y avait de la variété.
Après, chaque entraîneur avait son propre style. Au centre de formation, on répétait beaucoup les gammes. On était cinq ou six ensemble avec pour commencer une combinaison imposée puis on nous laissait libre.
Mais la combinaison imposée, tu la faisais peut-être pendant une demi-heure pour savoir comment se déplacer par rapport au premier partenaire, à la première passe. Du coup, les déplacements se faisaient naturellement.
À travers toutes ces gammes répétées à la formation, que ce soit avec le coach Denoueix ou avec Coco, il y avait quand même une grande part d’improvisation.
Ils laissaient l’intelligence de chaque joueur s’exprimer, se développer et faire en sorte qu’il puisse s’épanouir à travers le collectif.
J-P. B.D :
Une réflexion que j’ai entendue de la part de José Arribas et Jean-Claude Suaudeau, c’est : « Un grand pianiste fait ses gammes, même si c’est un virtuose. » Le foot, c’est pareil.
Des fois, c’est un peu rébarbatif mais on sait que c’est pour le bien de l’équipe. La force des entraîneurs, c’est de trouver des exercices, des jeux en se renouvelant.
Pour résumer, si vous regardez Barcelone quand ils sont très bons, ben, ils ont tout copié sur nous ! (rires). Mais on n’avait pas Messi.
Vos adversaires vous ont souvent qualifiés d’arrogants. Est-ce un reproche que vous reconnaissez et assumez ?N. O. :
Ça vient du banc de touche ça ! (Rires) Je parle pour ma génération.
N. S. :
Je l’ai entendu ça.
J-P. B.D :
Pas pour ma génération. Par contre, nos adversaires disaient que ça « donnait bien ».
Quand l’avant-centre passait devant Patrice Rio puis Henri Michel et qu’il arrivait devant moi, s’il y arrivait… Comme on disait, la première lame coupe le poil, la seconde avant qu’il se rétracte… Je compare un peu à Barcelone.
Quand le Barça se fait 25 passes de rang, les adversaires peuvent avoir les abeilles qui montent au plafond.
À un degré moindre, le FC Nantes, c’était un peu comme ça. Mais je n’ai jamais eu un sentiment d’arrogance vis-à-vis des adversaires.
Quels sentiments éprouviez-vous lorsque le jeu coulait de source, était si fluide et que vous en étiez les acteurs principaux ?N. S. :
C’est peut-être de là que vient cette réputation arrogante. En sélections jeunes ou Espoirs, on me le répétait souvent : « Vous chambrez toujours ! » Non.
Il suffisait que les onze mecs aient la même idée sur le terrain et ça partait. On dégageait une impression de facilité. On était en confiance et on tentait des choses au fur et à mesure mais pas dans l’idée de chambrer.
Après, c’est peut-être l’expression jeu à la nantaise qui a fait naître cette idée d’arrogance. Nous, quand on s’entraînait, on ne se disait pas : « Tiens, on joue à la nantaise ».
Non, on jouait au foot, tout simplement, le foot qu’on nous avait appris et qu’on avait envie de jouer.
Quelles actions ou séquences de match ont-elles le mieux traduit cette conception du jeu ?R. B. :
La volée de Pat’(Loko) contre le PSG.
N. O. : Cette séquence-là, certainement. De l’extérieur, c’est un but extraordinaire, et il l’est, dans sa conception, sa réalisation, la technicité du geste.
Ce que je vais dire peut conduire à accréditer la thèse de l’arrogance, mais ce type d’action, on l’a répété des dizaines de fois dans la fosse à la Jonelière où l’on travaillait les un contre un, deux contre deux… et les séances de volées.
C’est comme ça qu’on nous a appris à jouer au foot.
Recueilli par Loïc FOLLIOTet Pierre-Yves ANSQUER.